Pour cette newsletter du mois de juillet, nous recevons Alain Capmas, ancien président et bénévole d’Emmaüs Bougival (78), qui nous explique la création d’Emmaüs Europe.
J’ai été administrateur d’Emmaüs France et International et quand il y a eu la naissance d’Emmaüs Europe, j’en suis devenu administrateur. Sa création fut en 2007 […] et je suis également devenu trésorier. Ça a été passionnant parce que ça m’a permis de participer aux projets de développement. Les groupes étaient extrêmement rapides pour aider et donner de l’argent […]. Et Emmaüs Europe, ça a été la constatation que les groupes fonctionnaient de façon très collaborative, c’est-à-dire qu’il n’y avait aucune hiérarchie entre les groupes, ils avaient plutôt des relations d’entraide, d’échange. […]
Avant Emmaüs Europe, il n’y avait pas d’appellation Emmaüs autre qu’en France ?
En fait, la première création, c’était Emmaüs International. L’Abbé Pierre, […] était sur un ferry, le “Rio de la Plata”, il a coulé et il a été déclaré mort. Et il est ressorti de là et il s’est dit « je rencontre plein de groupes dans un tas de pays, il faut qu’ils se connaissent”.
Emmaüs France, ça a été une création beaucoup plus tardive, dans les années 80, alors que Emmaüs International c’était dans les années 60. Après ça, on a constaté qu’il y avait des groupes en Europe qui se créaient et que finalement, ils ne se connaissaient pas très bien. Emmaüs International avait décidé de faire une régionalisation : il y a des groupes Europe, Afrique, Asie et Amérique […]. Mais effectivement, l’Europe, c’était une création tardive et la réaction des groupes à l’Europe, c’était de dire :
“On ne veut pas une usine à gaz, on ne veut pas une structure hiérarchique qui va essayer de nous expliquer ce qu’on doit faire. On veut plutôt que vous nous aidiez à nous rencontrer, à travailler ensemble et à partager nos difficultés et de faire en sorte que l’on nous défende au niveau européen”.
On est allé plusieurs fois s’exprimer au Parlement européen, en particulier sur l’immigration, par exemple, au titre de l’Europe.
C’était une suite logique en fait de créer Emmaüs Europe ?
C’était une suite logique. La difficulté, c’est que l’Europe est une très grosse structure, en termes de nombre de groupes […]. Ca faisait un certain déséquilibre. La France est énorme par rapport aux autres. Mais je pense que ça a bien fonctionné. L’Europe n’a pas cherché non plus à jouer la hiérarchie ou le politique, […] ce n’était pas du tout l’objectif.
Et puis au contraire, ça peut être une force pour les petits groupes d’être aidés par des plus gros ?
Justement. Ça a été un des points très forts en Europe et ça a permis de développer des groupes : Iași, Satu Mare, Târgu Jiu (en Roumanie) mais aussi en Pologne, en Ukraine, en Lituanie, en Bosnie, en Serbie. On a pu permettre à des groupes de se créer, de se développer avec l’aide de l’ensemble. Donc oui, il y a eu un effet de masse important.
[…] Il y a aussi une extension extraordinaire des groupes en Angleterre, qui est devenu deuxième pays en nombre de groupes. Il y a plus de 30 communautés maintenant en Angleterre.
En France, il y en a combien ?
120 communautés et 180 groupes « autre » […] qui sont financés par les communautés, qui font des micros prêts à des particuliers et des familles en difficulté.
Il enchaîne ensuite sur une présentation d’Emmaüs Bougival.
Emmaüs Bougival, c’est l’une des cinq premières communautés du mouvement, qui a été créée en 1953 […]. Aujourd’hui, il y a 130 compagnons sur trois sites pour 15 salariés. C’est une des cinq plus grosses communautés de France en nombre de compagnons. La communauté est basée sur un lieu qui est assez riche et donc on récupère du beau matériel, ce qui nous permet de de bien vivre, […] mais aussi et surtout d’aider d’autres groupes. La solidarité est l’un des points clés de Bougival […]. On a 11 camions et on a fait le choix de donner un camion au bout de dix ans […]. Cette année, c’est Iași qui a reçu ce camion.
Il y a trois lieux : Bougival, le site historique qui est assez “contraint” ; une boutique à Nanterre où on a créé un chantier d’insertion […] ; un site de 4 500 mètres carrés à Chatou, où sont nos ateliers solidaires. Parce qu’on avait constaté que l’on gâchait beaucoup de matière, […] ça nous a considérablement aidé d’avoir ce grand bâtiment avec des ateliers vraiment multiples. Et ça permet aussi de former des compagnons. […].
C’est des bénévoles qui aident ?
Des bénévoles et des compagnons. Il y a 80 bénévoles avec les 130 compagnons. Et moi, je suis bénévole depuis 30 ans à Bougival.
Enfin, il nous raconte sa rencontre avec l’Abbé Pierre.
L’Abbé Pierre, qui disait toujours qu’il était très vieux et fatigué. […]. Il venait systématiquement passer du temps avec nous, pour échanger, il aimait bien aussi beaucoup circuler. […] Mais il était étonnant, car la première fois que je l’ai rencontré, il m’a dit : « Toi, t’es marié, t’as des enfants ? » Oui ! « Ta femme, tes enfants d’abord. Fais attention ! »
Il avait rencontré beaucoup de personnes qui s’étaient “noyées” dans Emmaüs. C’est vrai que c’est tellement fascinant, la richesse des rencontres humaines qu’on peut y faire, qu’un bon nombre de personnes s’y sont noyées. […] Il faut vraiment garder son propre équilibre […] pour pouvoir durer. C’est dans la durée qu’on fait les choses.
Il y a un côté addictif à aider les gens ?
Effectivement, il faut faire très attention parce qu’il y a des relations de pouvoir et d’abus de faiblesse. Quelqu’un qui a éventuellement un petit problème de reconnaissance perso peut s’y noyer. […]. Donc oui, c’est une des difficultés dans Emmaüs, que moi j’ai vu plusieurs fois. Par contre, ce que je trouve fascinant, c’est que la communauté, c’est l’exemple type de la permaculture humaine. Dans une communauté comme Bougival, avec 130 compagnons, les âges vont de 18 à 80 ans. On a 30 nationalités et tout ce petit monde vit ensemble. C’est la permaculture parce qu’il y a une richesse humaine invraisemblable. Alors que quand on voit les grandes entreprises françaises, […] (ils) sont tous sortis de la même école et pensent tous pareil, […] donc s’il y a un virus qui passe on se dit « c’est marrant, il y avait une grande entreprise et elle a complètement disparu ». C’est parce qu’elle n’avait aucune résilience.
Nous, à Emmaüs, on a des résiliences incroyables dans les communautés, il y a toujours cette créativité, […] cette entraide qui existe aussi en interne d’abord, mais aussi entre groupes quand il y a quelque chose, […] on sait parfaitement s’entraider. […] Il y a toujours ces échanges qui permettent de développer des idées. […] On est capable de gérer des échecs comme ça […]. On a eu de sérieuses plantades, du vol organisé, des inondations, des incendies, etc. Et ça n’a jamais tué un groupe. On peut s’engueuler comme du poisson pourri […] mais si le gars il brûle, c’est celui avec lequel on s’engueulait la veille qui va amener son camion pour aider à redémarrer. Ça c’est un des trucs qui est extraordinaire, c’est une qualités extraordinaires du mouvement pour moi.