Ce mois-ci, vous pouvez retrouver l’échange que nous avons eu avec Hélène, chargée d’appartenance au mouvement, qui a participé au collectif Roumanie. Elle nous explique son rôle au sein d’Emmaüs International et auprès des groupes et l’importance de “faire mouvement” pour faire vivre la solidarité.
Leïla : Bonjour Hélène, présente toi en quelques mots, qui tu es, ton parcours…
Hélène : J’ai 37 ans, je suis arrivée à Emmaüs en 2013 […]. Je viens du secteur culturel et j’ai travaillé pour le secteur associatif afin de mettre en œuvre des projets d’éducation populaire et utiliser la culture comme outil pour créer du lien social avec les plus exclus, notamment les femmes et enfants […]. Je suis arrivée chez Emmaüs parce que j’avais envie de développer le volet social et donner plus de sens à mon job, […]. Je suis tombée sur Emmaüs International, que je ne connaissais pas et les dimensions “diversité culturelle”, “international”, “mouvement”, c’est ce qui m’intéressait. D’Emmaüs, je connaissais uniquement l’aspect communauté “Abbé Pierre”, mais je n’avais pas du tout en tête tout ce qu’il pouvait y avoir derrière. […]
Depuis 2016, je suis chargée de l’appartenance au mouvement. C’est un poste qui est très polyvalent, très large, et qui est vraiment lié à l’animation et la vie du mouvement. Mon rôle, c’est de tisser plus de liens qui permettent, dans cette nébuleuse Emmaüs, de faire plus corps ensemble, de porter une voix collective. C’est un mouvement qui est très riche […]. A la fois on est content d’être dans un mouvement mais on a tous envie de faire chacun de son côté, ce qui est plus facile […]. Moi, je crois au collectif et je crois que c’est ce qui m’anime pour travailler dans un mouvement […]. Je m’occupe de la partie statutaire et de la vie du Mouvement […], en lien avec les organisations nationales et régionales, le suivi des procédures d’entrée des nouveaux groupes et aussi tout ce qui concerne la gestion des noms et marques. J’interviens également dans des espaces de formation avec le pôle “appartenance, mémoire et communication”. […].
Je suis, depuis 2019, dédiée à la coordination de l’assemblée mondiale. J’ai mis un peu de côté mes missions “appartenance” […]. Tout cela bien sûr en travail collectif avec toute l’équipe. C’est un mouvement où l’on apprend toujours. Ça fait neuf ans [que j’y travaille] et il y a une telle richesse ! Le fait de comprendre le sens de ce mouvement, comment il a été construit, son histoire, ses logiques d’évolution, ses spécificités … , ça prend du temps et c’est passionnant […]. Si je peux mettre ma petite pierre à l’édifice pour porter des actions communes et lutter contre les causes de la pauvreté, c’est ce qui m’anime.
Leïla : Tu parles de “mouvement” et d’”appartenance”… peux-tu nous en dire plus ?
Hélène : On parle de “mouvement” et je comprends mieux aujourd’hui la différence par rapport à une “fédération”. Le mouvement a été construit dans une logique de décentralisation et non pas pour rajouter des couches. Où que l’on se situe, les causes de la pauvreté contre lesquelles on se bat sont les mêmes ! La pauvreté prend des formes différentes selon les territoires, mais leurs causes sont identiques. L’organisation du mouvement, [c’est vraiment] pour faire vivre et adapter aux différentes échelles, ce qui a été décidé collectivement à une échelle mondiale. L’animation se doit donc être à la fois locale, nationale, régionale et internationale.
[…] Dans notre fonctionnement, il y a des règles communes qui ont été définies par les groupes eux-mêmes et ce n’est pas fait pour rien. Quand on arrive dans le mouvement aujourd’hui, cette histoire il faut aller la chercher, parce qu’elle donne des clés de compréhension et de construction du mouvement de demain. […] Ce qu’on ne met pas assez en avant dans le mouvement Emmaüs, c’est cette force d’être un mouvement de 425 organisations dans 41 pays qui a sa propre façon d’agir, une « méthode Emmaüs », qui place les plus exclus au cœur des actions pour retrouver de la dignité et se réapproprier les droits fondamentaux,. Après, dans la pratique, ça peine parfois fois à trouver un bon fonctionnement collectif et il y a un gros travail pour que chaque groupe se sente faire partie d’Emmaüs International et d’un tout, et en soit fier […].Dans Emmaüs International, le côté “international” créé de la distance, parce qu’on a l’impression que c’est loin, alors qu’en fait “international” c’est “fait par les groupes”. C’est des groupes sur le terrain, en Roumanie, Angola, Pérou… qui font partie d’un tout. Peut-être qu’”Emmaüs Monde” aurait permis de mieux porter cela.
Leïla : On parle d’un mouvement international décentralisé en régions, et puis il y a les organisations nationales… explique-nous.
Les régions sont arrivées beaucoup plus tardivement (à partir de 2005, après la réforme statutaire de 2003, alors qu’Emmaüs International a été créé en 1971, ndlr). Ca a laissé quelques blessures, cette refonte statutaire de 2003, mais ça a permis de poser le mouvement comme on le vit aujourd’hui où les régions ont des missions et compétences bien définies. Après, sur les nations, c’est plus compliqué, parce qu’en fait il y a des organisations nationales qui existent depuis beaucoup plus longtemps et qui n’ont pas été pensées comme faisant partie d’un ensemble au niveau international . […]. Dans leurs statuts, elles ne reconnaissent pas faire partie de ce mouvement. […]. Donc un gros travail est à faire là dessus, qu’on a déjà pas mal avancé, mais il y a une bonne marge de progression à venir.
[Concernant les nouvelles organisations nationales], je suis ravie pour Emmaüs Espagne par exemple, qu’on a pu accompagner récemment pour être reconnue officiellement comme une organisation nationale. Et puis là, pour Emmaüs Roumanie, je trouve que c’est super, ça fait depuis l’assemblée mondiale de Jesolo (Italie) en 2016 et depuis l’affiliation de Târgu Jiu, comme troisième groupe, que Jean-Philippe (président d’Emmaüs Satu Mare, alors Conseiller d’Emmaüs International, ndlr) commence à en parler. C’est vraiment une belle reconnaissance au niveau national pour les trois groupes […].
Leïla : Mais quel est l’intérêt pour nous de créer une organisation nationale ?
L’avantage d’avoir une structure Emmaüs en Roumanie, c’est d’avoir plus de poids politiquement, plus de reconnaissance par les autorités locales notamment et plus de responsabilité au sein d’Emmaüs.[…]. Après il y aura peut-être plus d’actions que vous allez vouloir mener collectivement pour trouver des solutions comme par exemple la gestion des déchets et le recyclage en Roumanie […]. Le mouvement Emmaüs International n’est pas qu’une addition de groupes et d’actions locales, c’est aussi ce qu’on veut mettre et porter ensemble. Parce que si on fait un plus un plus un, nos actions ont peu de sens, il y a peu de visibilité commune et chacun fait son travail de son côté. Et vraiment, plus on arrive à faire des actions communes sur lesquelles on décide ensemble de nos orientations, plus on met en avant aussi notre impact en termes de transformation sociale pour montrer concrètement ce qu’on a réussi à faire tous ensemble. […]. Le mouvement a besoin de porter plus de choses collectives. La sortie du premier rapport mondial sur la pauvreté est une belle avancée pour porter nos revendications auprès de décideurs à partir d’exemples très concrets. Il y a des actions qui sont mises en place par le Mouvement, comme sur le lac Nokoué au Bénin pour l’accès et une gestion collective de l’eau, pour défendre la liberté de circulation et d’installation des personnes avec l’organisation pour une citoyenneté universelle qui sont de belles réussites collectives, , […]. On a besoin d’actions fortes où l’on puisse mobiliser tous les groupes.
De ce que j’ai vu en Roumanie, je me rends bien compte des inégalités qui peuvent exister, entre différentes nouvelles organisations nationales. En France, un nouveau groupe va être accompagné financièrement dans toutes ses démarches administratives, etc. Et là-dessus, ma présence en Roumanie aussi me fait pas mal réfléchir sur ces inégalités qui peuvent exister entre organisations nationales, pour pouvoir développer des nouveaux groupes.
J’ai trouvé qu’il y avait une bonne entente des trois groupes et qu’il y a encore pas mal de choses que vous pourrez porter ensemble. Après, il y a la question des moyens […], pour permettre cette vie d’Organisation Nationale. Il y a un beau potentiel de développement […]. Donc bravo à vous !
Merci pour l’accompagnement aussi, sans Emmaüs International c’est compliqué de faire Emmaüs Roumanie. Et sinon, tu en as pensé quoi de la Roumanie ?
Hélène : A part la pluie et le froid pendant ces 4 jours… Super accueil ! […]. J’ai vraiment apprécié ces échanges simples, conviviaux, qu’on a partagés […], apprendre à mieux vous connaître et mieux connaître la réalité de terrain. […]. Plein de souvenirs. Et puis aussi ces enfants qu’on a vu à Târgu Jiu… en étant maman aussi, c’est vrai que ça m’a fait écho sur une réalité […]. On voit que la Roumanie fait des pas en avant assez rapides avec l’entrée dans l’Union Européenne, alors qu’en même temps, il y a encore pas mal de choses qui doivent se mettre en place pour réduire les inégalités. J’aimerais vraiment y retourner c’est un très beau pays ! […].