Portrait du mois : Laetitia, membre de l’association Mergem ABSL (déc. 2018)

Partenaires Association Mergem Belgique

En novembre, Laetitia et Anne, membres de l’association Mergem, basée à Bruxelles (Belgique), sont venues nous rendre visite à Iași et Popești, et sont restées une semaine parmi nous.

Cette visite a été l’occasion de les retrouver pour ceux qui les connaissent et de les découvrir pour les autres… Nous avons discuté avec Laetitia, qui n’est plus dans l’association, mais qui a gardé le lien et pour qui ce n’est pas le premier passage en Roumanie.

Comment as-tu découvert la Roumanie ?

Je suis venue avec l’association Mergem en 2002 pour amener des colis de vêtements et lettres aux enfants et jeunes d’un orphelinat à Târgu Frumos dans la région de Iași qui étaient parrainés par des familles belges. J’y allais pour préparer mon camp scout qui avait lieu quelques mois plus tard dans cet orphelinat où nous allions animer les jeunes. J’ai découvert la Roumanie en camionnette, trois jours de trajet de Bruxelles jusque Iași.

Dans quels projets as-tu été impliquée ?

Suite au camp scout, je suis rentrée dans l’association Mergem car j’avais envie de continuer le lien avec ces jeunes avec qui l’accroche avait été forte. Je suis devenue responsable du parrainage entre les familles belges et ces jeunes. Leur situation était difficile dans le centre. Il y avait peu de moyens, peu de personnel formé et une demande affective très importante. Nous venions chaque année en avril et en mai avec des colis, des lettres de leur parrain/marraine et des bonbons. Notre arrivée était un évènement.

Ensuite quand toute cette génération a quitté le centre, nous avons décidé de continuer à les soutenir en créant une équipe « După » qui signifie « après ». Cela consistait en une aide pour l’autonomie au travers le financement d’appartements supervisés avec la fondation COTE, un appui pour les projets personnels des jeunes accueillis chez Emmaüs (permis de conduire, problèmes médicaux,…), l’aide financière pour la maraude d’Emmaüs dont les bénéficiaires proviennent souvent d’orphelinats.

Quelles ont été tes premières impressions ?

Mes premières impressions m’ont beaucoup marquée… Je découvrais enfin ce pays dont j’avais tant entendu parler ! Un pays qui était difficile d’accès pour nous jusqu’à la fin du communisme. La Roumanie… ce fut le coup de foudre pour ce pays ! Ses paysages, sa nature, ses traditions, son accueil, sa langue, sa poésie, ses chants, sa spiritualité, son histoire… On n’en sort pas indemne, elle ne nous laisse jamais indifférent. Elle est faite d’extrêmes, c’est ce qui fait son charme…

Comment as-tu gardé le lien, quel est ton engagement actuel ?

J’ai gardé des liens très forts depuis plus de 15 ans avec beaucoup de ces jeunes. D’autant plus que pour le parrainage, je les ai beaucoup photographiés. C’était une tâche importante de garder des traces de leur vie. A l’époque, les jeunes ne possédaient pratiquement pas de photos d’eux. Il faut imaginer que pour eux, l’arrivée de ces colis et de ces temps de jeux et de rencontres était très attendue. En 2002 et même encore quelques années plus tard, il n’y avait pas internet, le courrier n’arrivait pas, le téléphone ne fonctionnait pas toujours et c’était hors de prix. Cela suscite des liens très forts quand on ne peut pas communiquer facilement et qu’on ne revient que tous les 6 mois ou tous les ans. Maintenant, il y a Facebook qui me permet de rester en lien avec beaucoup de monde en Roumanie ou à l’étranger. Il faut aussi savoir que leur parcours de vie a été semé de ruptures, d’abandons, de solitude, d’indifférence, de rejets et de traumatismes. Garder un lien n’est pas facile car souvent ils pensent qu’on va à nouveau les laisser tomber et qu’ils ne valent pas autant que les autres. Et pourtant, ils peuvent être fiers de qui ils sont ! J’ai toujours été frappée de voir que face à ces parcours compliqués, ils ont développé des talents incroyables : le chant, la musique, le dessin,… qui ne demandent qu’à être exprimés. Nous avons été témoins de leur parcours et “ils savent qu’on sait », cela tisse des liens uniques.

Comment a évolué la situation de la Roumanie ?

La Roumanie est passée du modèle communiste au capitalisme libéral et à la société de consommation à outrance avec ses laissés pour compte. Bref, d’une extrême à l’autre. En 15 ans de temps, j’ai vu la ville de Iași se métamorphoser. L’entrée dans l’Union européenne y a fait pour beaucoup. Il n’y a plus d’enfants des rues mais il y a des sans-abri et des personnes qui vivent dans une grande précarité. La classe moyenne disparaît. L’intelligentsia et les forces vives sont parties vivre et travailler à l’étranger. La situation politique s’est détériorée. Or c’est un pays riche par ses ressources naturelles, avec un niveau d’instruction élevé. Cela me choque beaucoup quand je vois des centres commerciaux se construire avec des tas de magasins étrangers où l’on pousse à la consommation. Je me dis souvent que les personnes âgées en Roumanie ont vécu des périodes tellement différentes, je me demande comment ils font pour s’y retrouver…

Je pense aussi que certains sujets ne peuvent pas encore être évoqués en Roumanie. Parler des enfants, des jeunes qui ont été placés en orphelinat et des traitements qu’ils ont subis reste un sujet tabou. Sans doute est-ce encore trop compliqué dans un pays qui place l’enfant comme un roi que l’on veut combler à tout prix. Bien souvent les jeunes ne connaissent pas cette histoire et pensent que c’est un peu de leur faute s’ils ont été placés. Or pour rappel, durant le communisme, le régime demandait aux femmes d’avoir des enfants, les moyens de contraception et les avortements étaient interdits, dans le but d’avoir beaucoup de forces vives. C’est ainsi que l’Etat se chargeait de les élever si les parents ne le désiraient pas. « Nous sommes le père et la mère de la nation » disaient Ceaușescu et son épouse. Aujourd’hui la société leur doit quelque chose, ils ont payé le prix fort mais je pense qu’il faudra encore beaucoup de temps pour ouvrir ce sujet.

Quant à la situation dans les orphelinats, celle-ci a bien évolué. Les jeunes qui sont placés actuellement le sont pour de toutes autres raisons (problèmes sociaux, handicap,…). Du personnel formé et des moyens financiers sont arrivés. Les jeunes de la génération que nous avons connue sont soit à l’étranger, un peu partout en Europe, soit ont réussi leur insertion et ont fondé une famille, ou bien sont accueillis par des fondations comme Emmaüs. Dans d’autres cas, certains sont en rue et n’arrivent pas à intégrer le système classique et les plus abîmés sont en centre de revalidation pour adultes ou en asile psychiatrique.  

Merci Laetitia, pour ce témoignage très enrichissant. Nous te souhaitons une bonne continuation… et à l’année prochaine ?