Comme vous vous en doutez, des réunions à l’échelle de structures comme Emmaüs Europe ou Emmaüs International demandent une certaine logistique… moyens de transport pour des participants venant de différents pays, organisation des logements… mais également pour l’interprétation, puisqu’à Emmaüs, il y a trois langues officielles pour les échanges internationaux : français, anglais et espagnol. Rencontre avec Nancy, qui interprète bénévolement pour Emmaüs Europe.
Bonjour Nancy, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour, je suis canadienne (de langue anglaise) d’origine mais je vis depuis très longtemps en France où je suis venue poursuivre mon travail d’interprète et permettre à mes enfants de connaître cette belle culture. Leur père, d’origine indienne de Madagascar avait reçu une éducation française, comme quoi rien n’est simple dans la vie !
Peux-tu nous parler un peu de ton travail d’interprète ? Quelles études as-tu faites ?
Au lycée j’ai étudié les langues parce que je n’aimais pas les maths (c’est vrai) et j’étais curieuse de connaître de nouvelles cultures. Rien ne me prédisposait à être interprète ; au Canada, pays officiellement bilingue mais en fait divisé en deux groupes linguistiques, mes parents se plaignaient de tomber toujours sur le côté français des étiquettes au supermarché. Mais je suis venue en France une première fois pour terminer mes études et j’en suis tombée amoureuse. Je cherchais donc un prétexte pour prolonger mon permis de séjour quand une amie m’a suggéré de tenter l’examen d’entrée à l’école d’interprètes. Je me suis dit qu’une fois que j’aurai le permis de séjour je ne serais pas obligée d’aller aux cours. Mais la curiosité m’a poussée à assister au premier cours et j’étais mordue. L’idée de permettre à des gens de communiquer alors qu’ils ne partageaient pas la même langue m’a tout de suite séduite. Autant je détestais la traduction écrite (je ne suis pas perfectionniste), autant j’ai tout de suite compris ce que signifie “faire passer le message”. Et depuis c’est ce que j’essaie de faire.
Tu interprètes régulièrement pour des rencontres Emmaüs Europe… Comment as-tu connu Emmaüs ?
Là aussi, c’est le hasard qui m’a guidée. Vivant en France, pays de l’abbé Pierre, j’avais évidemment entendu parler d’Emmaüs mais je pensais qu’il s’agissait d’un organisme de revente de meubles d’occasion. Je suis venue interpréter une première fois parce qu’un collègue cherchait des bénévoles et j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas. Quand on m’a expliqué le fonctionnement d’une communauté il m’a semblé que c’était la solution évidente à beaucoup des problèmes de notre société, ou si ce n’est pas la solution c’est la meilleure façon d’aborder le problème. Maintenant que je suis à la retraite je travaille aussi avec d’autres organismes humanitaires, toujours dans le but d’aider les gens à se comprendre.
Qu’est ce que tu préfères dans ton métier ? Qu’est-ce que tu aimes le moins ?
Ce que j’aime c’est justement de voir deux personnes de cultures différentes partager un même enthousiasme ou rire ensemble d’une même blague (ça c’est le plus dur !). Ce que je n’aime pas c’est le côté technique, tous ces micros et ces écouteurs qui s’interposent entre les deux personnes qui veulent communiquer, mais qui sont un mal nécessaire.
As-tu une anecdote à nous raconter à propos de ton travail ?
Il y en a beaucoup, en général quand l’interprète se trompe et doit faire des acrobaties pour se rattraper. J’ai une collègue qui s’est trompée entre “rabbit” et “rabbi” en anglais et a parlé d’injecter un médicament à un rabbin ! Elle s’en est rendu compte et a vite ajouté “ça marche aussi sur des lapins”.
Quelle est ta plus belle expérience en temps qu’interprète ?
J’ai travaillé pour des chefs d’état mais c’est de la langue de bois. Ce qui me fait le plus plaisir c’est de voir quelqu’un qui est accroché à mes paroles parce qu’il est convaincu que c’est moi qui parle, que je ne suis pas un simple porte-parole. C’est quand je cesse d’exister en tant qu’interprète que je sais que le courant passe.
Comment la crise actuelle impacte-t-elle ton travail ?
J’ai la chance d’avoir pris ma retraite de la vie active ce qui me permet de ne pas devoir m’adapter à ces nouvelles technologies qui déshumanisent la communication. Je ne travaillerai pas de chez moi, mais j’ai accepté de faire une première expérience de travail à distance. On verra bien… Je ne voudrais pas que cela devienne la règle. Rien ne remplace la présence physique, mais en temps de crise il faut faire au mieux. J’ai un peu peur pour la jeune génération d’interprètes.
Merci pour le temps que tu nous as accordé !
C’était un plaisir!