Rencontre avec Leïla et Maureen…
Leïla et Maureen sont volontaires en service civique chargées du projet agro-écologique. Leïla est volontaire depuis le mois d’octobre 2017, et son expérience en tant que service civique touche à sa fin. Maureen est volontaire depuis le mois de février 2018. Quel est leur parcours, quelles ont été leurs missions jusqu’ici, quelle est leur réflexion sur Emmaüs ?
Bonjour les filles ! Première question : comment avez-vous entendu parler d’Un Coup de Main d’Emmaüs Iași ?
Leïla : J’ai fait un an d’Erasmus à Iași il y a quatre ans, en études de Biologie/Écologie, à partir du mois de septembre 2014. Pendant cette année d’Erasmus, j’ai eu l’occasion de participer à un chantier, la construction d’une serre en matériaux recyclés, avec les compagnons d’Emmaüs, à Popești (la Fondation possède une ferme et un centre d’accueil dans ce village à 40km de Iași, ndlr). J’habitais à deux rues de la Fondation, mais à l’époque, je ne savais pas qu’Emmaüs existait en Roumanie. Emmaüs, c’est un type de consommation qui me parle. En France, je me rends régulièrement dans les magasins Emmaüs. Donc quand on a découvert qu’Emmaüs existait ici aussi, on est allées acheter là-bas, avec mes colocataires. On a sympathisé avec le volontaire qui travaillait dans la Fondation, Timothée. Le projet de la serre a été imaginé par Timothée et l’ami d’une étudiante. C’est un projet qui est parti des étudiants.
Maureen : Moi, je connaissais déjà Emmaüs en France, à travers les magasins de seconde main. Je ne connaissais pas en détails le projet d’Emmaüs. Je cherchais à faire un volontariat en service civique et j’ai vu l’offre postée par Emmaüs Iași au début de l’année. Les missions m’intéressaient, donc j’ai postulé. C’est grâce à ce service civique que j’ai connu la Fondation, et que je me suis intéressée en détails au projet d’Emmaüs.
Quelles sont vos missions au sein de la Fondation ?
Leïla : Nous avons été recrutées sur la mission de Popești, donc sur le projet agro-écologique. Cela consiste à accompagner le développement agricole de la Fondation, plutôt le maraîchage. Mais nous travaillons à Iași et à Popești, avec des tâches plus administratives, d’autres plus au magasin ou au dépôt. Même à Popești, on ne fait pas que du maraîchage : il y a le magasin, le ménage, la cuisine… Maureen et moi, on ne fait pas forcément la même chose.
Maureen : Comme l’a dit Leïla, nous avons effectivement été recrutées sur la mission agro-écologique, mais dans les faits, comme la Fondation a besoin de beaucoup de compétences et de main-d’oeuvre, nous sommes amenées à faire beaucoup de choses différentes, à Iași comme à Popești, de l’administratif comme du terrain.
Leïla : C’est vrai, avant de commencer le volontariat, tu ne t’attends pas forcément à être amenée à faire du ménage. Et en même temps, tu traduis aussi des documents de douane pour l’arrivée des camions de donations.
Maureen : Tu peux participer à un festival et tenir un stand comme cuisiner les courgettes que l’on cultive à Popești !
Leïla : Notre travail, c’est aussi bien le semis de légumes que l’accompagnement des compagnons aux tâches ménagères et à une alimentation plus saine.
Maureen : Tu vas discuter avec les compagnons de leurs projets de vie, mais aussi participer à une réflexion collective, avec toute l’équipe, sur comment on pourrait ré-organiser juridiquement la Fondation.
Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans ce service civique ? Quel(s) projet(s) avez-vous le plus envie de développer ?
Maureen : Je n’ai pas une mission en particulier qui m’intéresse plus que les autres. Justement, c’est plutôt d’avoir l’occasion de travailler partout, la pluridisciplinarité des tâches. Cela permet de toucher à tout et de faire du terrain pur, comme on l’a dit, travailler avec les compagnons, etc. et en même temps, de réfléchir à ce qu’est Emmaüs, de travailler avec Emmaüs Europe et Emmaüs International, réfléchir aux questions migratoires, à la pauvreté, à l’insertion des personnes en situation de précarité. C’est cette ambivalence entre le terrain et la prise de recul que je trouve très intéressante.
Le projet global d’Emmaüs Iași m’intéresse énormément. J’ai l’impression qu’au début, il a été fondé sur l’urgence : on accueille les compagnons, on leur donne un travail et un toit… Et aujourd’hui, ce qui est intéressant c’est de réfléchir sur le long terme à ce qu’on leur apporte au-delà des besoins primaires. Au début, c’est le projet agricole qui me motivait beaucoup, et c’est toujours le cas, mais je me rends compte que c’est plutôt l’aspect de formation des compagnons qui me motive le plus.
Leïla : Comme Maureen, j’aime cet aspect où tu es à la fois sur le terrain, dans quelque chose de très concret, et en même temps dans la réflexion. Nous sommes dans une période d’Emmaüs Iași où l’on réfléchit sur des questions de fond, et c’est vraiment intéressant parce que l’on fait partie de la discussion et de la prise de décisions. Au niveau du concret, ce qui me plaît le plus, c’est le projet agricole, c’est ce que j’aime et c’est le domaine de ma formation. J’aurais aimé travailler plus dessus mais d’un autre côté, je pense que ma mission n’est pas censée concerner que cet aspect. J’aime bien ranger le pod (grenier en roumain, où nous stockons les donations, ndlr), et ranger en général, parce que j’aime bien organiser les choses.
Pour revenir au projet agricole, cela me tient à coeur aussi parce que je pense que la souveraineté alimentaire est quelque chose de très important. A Popești, nous ne sommes pas encore dans l’autonomie alimentaire, mais essayer d’y tendre, c’est essentiel, pour Emmaüs, parce que je pense que cela rentre tout à fait dans la logique du mouvement, qui est de redonner leur autonomie aux gens, de même que les pratique respectueuses de l’environnement, qui correspondent à des principes qui me tiennent à coeur. C’est cet ensemble qui me plaît, le fait de tendre vers l’autonomie, d’avoir quelque chose à nous, pour ne pas dépendre de l’extérieur.
Quel est le souvenir le plus marquant que vous avez de votre volontariat ?
Maureen : Il y en a plein ! Les gens de passage (partenaires, bénévoles) m’ont marquée, par exemple.
Leïla : Le Collectif Migrations en Bosnie m’a marquée, et le Collectif Roumanie à Iași. Ce sont de bons souvenirs,
Maureen : Tous les moments où je me suis rendue compte qu’Emmaüs Iași évoluait, ou que certaines choses devaient évoluer. Ce ne sont pas forcément des souvenirs positifs, mais ils m’ont fait réfléchir. Par exemple, lorsque je me suis rendue compte que certaines choses, que je pensais acquises par tout le monde, comme la notion de partage, ne le sont pas forcément si tu as n’as pas reçu d’éducation quand tu étais enfant. Quand à table, tu vois les compagnons qui prennent tout pour eux, par exemple… Mais si tu prends en compte leur vécu dans son ensemble, tu te rends compte que c’est normal qu’ils aient ce comportement. Et à l’inverse, tous les moments où j’ai parlé avec des compagnons, et où j’ai vu l’évolution dans nos relations, ces moments m’ont marquée. Au début, ils ne parlent pas beaucoup, certains sont renfermés, et au fur et à mesure, quand tu les vois au magasin, que tu les vois épanouis et qu’ils parlent de leurs projets d’avenir, tu te dis que notre travail au quotidien permet de débloquer des choses.
Les réunions hebdomadaires me permettent de voir cela aussi : tu vois que les choses avancent.
Leïla : Quand les compagnons reconnaissent ton travail, aussi, c’est important. Il ne faut pas attendre de reconnaissance, on n’est pas là pour ça, mais quand ils disent merci pour ce que tu fais, c’est vraiment sincère.
Maureen : Surtout qu’au début, il faut faire ses preuves. Donc quand les choses évoluent, cela fait plaisir.
Leïla : Autre chose qui m’a marquée : une fois, j’étais en train de marcher dans la rue, et je parlais français. Devant moi, il y avait Cornel (un homme sans-abri qui bénéficie du programme des maraudes, ndlr). Il ne voit pas très bien. Et il m’a reconnue à ma voix, il a dit : “Ah, Leïla !” alors que j’étais à deux mètres derrière lui. Ce n’est pas quelque chose d’énorme, ce n’est pas un grand discours, mais juste quand les gens te reconnaissent, comme un ami, c’est marquant.
Et aussi : au moment de partir en vacances, ceux qui partaient sont tombés en panne en plein milieu de parcours. Maureen m’envoyait des messages, j’ai eu les étapes principales : “15h : on part. 16h : on est tombés en panne, Florin essaye de réparer.” Une heure plus tard : “Florin est toujours en train d’essayer de réparer.” Et puis : “Au secours, il faudrait que vous veniez nous chercher !”. Donc on est arrivés comme des sauveurs.
Qu’est-ce que ce volontariat vous a apporté ?
Leïla : J’ai gagné en patience ! En assurance aussi, parce qu’il faut arriver à s’imposer, à poser les choses, les faire comprendre et s’assurer qu’elles soient faites, et en même temps, il faut que ce soit un échange. Ce volontariat m’a aussi apporté en humilité, parce que tu as mille envies, tu as envie de tout changer dans le fonctionnement d’Emmaüs au début, et après tu te rends compte que les choses sont vraiment difficiles à changer.
Maureen : La liberté d’action, et en même temps, nous sommes dans un cadre restreint. Mais c’est fou, la liberté que tu as, dans ton travail. C’est exactement ce que je recherchais dans une expérience de volontariat : une expérience de terrain. En plus, on a la possibilité de réfléchir à plus grande échelle, grâce au réseau Emmaüs. Tu as vraiment la possibilité de faire ce que tu aimes : si tu adores l’agro-écologie et le maraîchage, tu travailles à fond dessus et tu peux développer des projets. C’est difficile, parce qu’il faut faire suivre l’équipe derrière, mais tu as cette possibilité, et cela t’apporte beaucoup d’autonomie, d’esprit d’initiative. Tu gagnes aussi beaucoup en humanité, parce que tu as un contact quotidien avec des gens qui n’ont pas eu une vie facile, cela remet les pieds sur terre. Quand tu es dans la rue, que tu donnes de la soupe à des gens en sachant que c’est sûrement leur seul repas de la journée, ou bien quand tu discutes avec un compagnon et que tu vois que son parcours n’a pas été facile, même si ce n’est pas toujours évident de travailler ensemble, tu comprends qu’il y a eu un véritable cheminement pour qu’il en arrive là aujourd’hui, tu prends du recul. Et j’ai rencontré de super colocataires et collègues !
Des projets pour la suite ?
Leïla : J’avais envie de rester, depuis un certain temps. Un an c’est très court, et le projet de Popești me motive vraiment. Comme il y a besoin d’un second responsable à Popești, on m’a proposé le poste de co-responsable de Popești, et j’ai accepté. Je pense que c’est une opportunité immense : à la fois, cela me fait très peur, et en même temps je me dis que cela peut être merveilleux. Donc a priori, je suis partie pour au moins deux, trois ans à Emmaüs Iași !
Maureen : Pourquoi pas rester à Emmaüs Iași, pour un peu de temps ? Mon volontariat se termine dans quatre mois, et c’est frustrant de ne rester qu’un an, parce que le fonctionnement est assez cyclique. Donc cela pourrait être intéressant de rester pour tester de nouveau les choses et les projets. A la base, j’avais le projet de reprendre une formation pour passer les concours de la fonction publique française et de monter un projet d’entrepreneuriat en France, dans mon village natal.
Des choses à ajouter ?
Les deux : Merci, Emmaüs Iași ! Et merci Mélodie pour cette interview.
Maureen : Je voudrais ajouter que cette année de volontariat en binôme avec Leïla a été formidable. Je suis contente qu’elle reste !
Leïla : On a une très bonne équipe, avec une très bonne ambiance. Humainement, c’était enrichissant, malgré les difficultés. Maintenant, deux nouveaux volontaires vont arriver, et on a hâte !
Maureen : J’espère qu’ils font le ménage ! (rires)