Nous rencontrons Mélodie, rédactrice de la lettre du mois jusque maintenant
Pour ma dernière expérience mensuelle en tant que “rédactrice” de la Newsletter, je fais mon “auto-portrait” ! Le mois prochain, je passerai du côté des lecteurs… mais avant, retour sur mon année en tant que volontaire en service civique. Bonne lecture !
Quel parcours m’a amenée à faire un service civique chez Emmaüs Iași ?
J’ai 24 ans, j’ai fait un master en gestion de projets et développement. J’ai connu Emmaüs en faisant un stage dans la communauté Emmaüs de Lyon, ma ville d’origine en France, il y a deux ans. Je m’y suis tellement plue que je suis restée comme bénévole ensuite. Et puis, en janvier 2017, je suis partie à Brașov, en Roumanie, pour faire mon stage de fin d’études dans une association roumaine. A la fin des six mois de stage, je me suis rendue compte de deux choses : je voulais rester en Roumanie pour mieux connaître le pays, et je voulais travailler de nouveau avec Emmaüs. Ca tombe bien, Emmaüs existe aussi en Roumanie ! Je suis donc allée rendre visite à la communauté de Iași. J’ai rencontré Gelu qui m’a dit qu’ils recherchaient des volontaires en service civique. C’est comme ça que mon aventure roumaine a continué…
Quelles ont été mes missions au sein de la Fondation ?
A la base, j’ai été recrutée pour m’occuper de développer le lien avec les partenaires de la communauté, et pour développer la communication. Ca a été ma mission principale : rédiger la Newsletter chaque mois, rester en lien avec les partenaires financiers et les tenir au courant de nos actions, gérer la page Facebook, établir de nouveaux partenariats locaux, gérer le partenariat avec les étudiants de Iași, organiser des présentations de la Fondation dans les universités, rechercher de nouveaux bénévoles, faire le lien avec eux… Mais dans la Fondation, il y a énormément de choses à faire et nous sommes une petite équipe, donc tout le monde est polyvalent, au final. Je donne un coup de main au magasin quand il y a besoin, je me suis occupée d’organiser notre “coin librairie” par exemple. L’ancienne volontaire, Clémentine, proposait régulièrement des sorties et des activités culturelles aux compagnons : ce projet me paraissait très intéressant, donc je l’ai repris. J’ai participé aux événements locaux, aussi, comme les festivals et le colloque international francophone, et aux événements régionaux, comme les Collectifs Roumanie.
A quelles problématiques liées à la communication ai-je été confrontée ? Comment la Newsletter pourrait-elle évoluer selon moi ?
Comme je m’étais un peu occupée de la communication pendant mon stage chez Emmaüs Lyon, j’étais relativement confiante sur ma mission à Iași, en arrivant. Même si je n’ai pas fait de formation dans ce domaine, je pensais au moins maîtriser ce qui touchait aux réseaux sociaux, comment attirer l’attention des gens, etc. En fait, cela complique la tâche de changer de pays ! Sur Facebook notamment, les gens ne réagissent pas aux mêmes moyens de communication, donc certaines techniques que j’utilisais, qui marchent bien en France, ne rencontraient pas le même succès ici. J’ai dû m’adapter. Par exemple, les clients qui viennent régulièrement au magasin ont déjà un certain âge, tandis que ceux qui nous suivent sur Facebook sont bien plus jeunes : comment faire pour communiquer avec ces deux publics ? Il y a tout un contexte que tu dois observer. Et c’est valable pour parler d’Emmaüs en général, en Roumanie : c’est beaucoup moins connu qu’en France et même, on constate souvent une certaine méfiance de la part des gens qui ne connaissent pas, ou très peu. Une association qui tient un magasin ? C’est louche. Donc il faut être vigilant quand on présente notre action, insister sur le fait qu’on ne touche aucune subvention de l’Etat, que les compagnons ne travaillent pas pour enrichir Emmaüs, mais pour eux, pour la communauté. C’est important d’être transparent, selon moi. Pour apprendre à bien réagir, il faut comprendre comment la société roumaine fonctionne, se renseigner sur son histoire, il y a certains codes à intégrer. Sinon, tu risques de ne pas faire passer le message comme tu l’as imaginé.
Concernant la Newsletter, c’est un projet plein de possibilités. J’ai discuté avec les membres de l’équipe, et il en est ressorti des tas de bonnes idées. Par exemple, nous avons réfléchi au rôle de la Newsletter : jusque-là, le ton général est assez léger, le but est d’informer les lecteurs sur nos actualités. Et si le but était aussi de faire part de nos problématiques actuelles, de donner des pistes de réflexion communes ? Peut-être que nos lecteurs, qui font partie du réseau Emmaüs pour une grande partie, rencontrent les mêmes interrogations que nous. La Newsletter pourrait alors servir de point de départ à des discussions, des échanges d’expérience. Ce serait aller plus loin que ce qui était imaginé au départ, à savoir maintenir le lien avec les partenaires et les personnes intéressées par notre action. Ces personnes pourraient devenir sujets, et non plus simples lecteurs. J’ai hâte de voir comment la Newsletter va évoluer.
Quel(s) projet(s) ai-je préféré mettre en place ? Quels éléments ont été plus difficiles ?
Au magasin, j’ai beaucoup aimé suivre et participer à l’évolution de la vente des livres. Quand je suis arrivée, au mois de novembre 2017, il n’y avait que quelques livres en vente, la plupart en français, posés sur une seule étagère. Un jour, on a reçu une grosse donation de livres et ils ont été placés dans un endroit plus grand, dans de beaux meubles. Comme j’adore lire, je me suis fait une joie de les trier, de les ranger en essayant de les mettre en valeur. C’est un coin plus tranquille que le reste du magasin, un peu en retrait, c’est reposant. Bon, même s’il faut tout ranger très souvent…
A force de rester dans cet espace, avec mes cartons de livres et mes piles interminables, les clients ont commencé à me parler, à me poser des questions, à me demander conseil même, parfois ; c’est agréable de créer du lien à travers la lecture. Même les compagnons, qui trouvent peu d’intérêt aux livres pour la plupart, venaient parfois discuter, ils étaient curieux de voir ce que je faisais. Parfois ils feuilletaient un livre ou deux, c’était des moments à part, ça m’a marqué.
Bien sûr, j’ai aussi beaucoup aimé m’occuper du projet de la Newsletter. Quand je suis arrivée, il n’y en avait pas, donc j’ai eu énormément de liberté pour créer la forme, les titres des rubriques, pour ajouter ma petite touche personnelle. C’est intéressant car pour le fond, c’est vraiment un travail d’équipe, on parlait entre volontaires, avec Gelu aussi, et on faisait la liste de ce qu’il s’était passé pendant le mois. Cela t’oblige à prendre du recul, et en même temps, cela permet d’être au courant de tout, même de la pousse des légumes à Popești ! Dana, Leïla et Maureen m’ont énormément aidée pour la traduction en anglais et en roumain. Et je n’oublie pas Iustina, la trésorière de la Fondation, qui corrige chaque mois la Newsletter en roumain, avec une grande efficacité. J’ai particulièrement aimé m’occuper de la rubrique “Le portrait du mois” qui consiste à réaliser une “interview” chaque mois, avec une personne liée à Emmaüs : une volontaire, un compagnon, un partenaire… J’ai un peu joué à la journaliste. C’est un travail qui nécessite de la réflexion, mais c’est tellement intéressant !
Et enfin, j’ai aimé toutes les sorties qu’on a faites avec les compagnons, même si c’était parfois compliqué à organiser. Cela m’a permis d’enrichir mes connaissances sur la culture roumaine, et puis tu vois les compagnons dans un autre contexte, tu apprends à mieux les connaître.
Concernant les moments plus difficiles, je dirais que c’est parfois compliqué de se faire accepter par les compagnons, en tant que volontaire, française, en plus. Il faut faire ses preuves et être prête à recevoir des critiques. Surtout que comme je m’occupe pas mal de la communication, j’étais souvent au bureau, et moins au magasin, avec eux. Et le travail de bureau n’est pas très bien reconnu… Mais au final, quand tu vois que tu as quand même réussi à construire une relation solide avec eux, ou juste qu’ils te disent “merci”, c’est tellement gratifiant, parce que ce n’est pas donné, la confiance se crée petit à petit.
Au début, j’avais du mal à comprendre quand Gelu et Florin (co-responsables à Iași, ndlr) parlaient de “grande famille” parfois pour désigner la Fondation. Même si des liens se créent au fil du temps, pour moi Emmaüs, c’était avant tout un lieu professionnel dont le but est d’aider des personnes vulnérables. Récemment, on en a reparlé, et là je pense que j’ai compris : même en prenant de la distance – ce qui est nécessaire selon moi si l’on veut faire du bon travail -, ce n’est pas possible de considérer la Fondation comme un simple lieu de travail. On travaille avec des personnes qui ont souffert d’énormes carences familiales et même si ce n’est pas le but initial, on est un peu leur famille, dans le sens où nous sommes les personnes que les compagnons voient tous les jours de la semaine, on mange avec eux, on travaille avec eux, ils se confient à nous, et au fur et à mesure qu’on comprend ce qu’ils ont enduré, le lien se tisse. Même au sein de l’équipe salariée, on se soutient, on s’implique tous beaucoup. Et concernant les volontaires, on est même colocataires ! Ce n’est pas un lieu de travail conventionnel. C’est bien plus riche.
Quels sont mes souvenirs les plus marquants ?
D’abord, le premier Collectif Roumanie auquel j’ai assisté, à Roanne en France, m’a énormément marquée. Je n’avais même pas encore commencé mon service civique, mais comme le Collectif se déroulait à proximité de Lyon, où je vivais, Gelu m’a proposé de venir pour voir comment Emmaüs fonctionnait en Roumanie et au niveau européen, et pour rencontrer les partenaires de la Fondation de Iași. Gelu, un immense merci pour cette opportunité ! C’était très intéressant de suivre les actualités et les débats, et au-delà de ça, tu te rends compte que les choses bougent, tu vois les plans d’action se développer, et à quel point le Mouvement Emmaüs est immense. C’est vraiment motivant, de faire partie d’un groupe de personnes qui travaillent pour changer les choses.
Un autre souvenir marquant, c’est quand j’ai compris, en me renseignant sur Internet, à travers certains livres aussi, en discutant avec les compagnons et les salariés, le quotidien que les enfants avaient vécu en maisons d’enfants sous Ceausescu (les compagnons ont grandi en maisons d’enfants, pendant la dictature pour la plupart, ndlr). Peu d’accès à l’éducation, une précarité quotidienne, aucun amour… Forcément, cela a des répercussions même lorsqu’ils deviennent adultes. Il y a quelques temps, une de nos compagnes a commencé des cours particuliers en roumain et en mathématiques avec une bénévole. Elle a acheté un cahier et cela m’a touché car elle le montrait à tout le monde, elle était très fière. Quand tu vois certains enfants qui se plaignent d’aller à l’école et que cette attitude est presque considérée comme quelque chose de normal dans notre société privilégiée, une fois que tu as vu une femme adulte ravie d’apprendre, chance qu’elle n’a pas eu plus jeune, ça fait quelque chose. Et c’est un peu la même chose pour les “interviews” que j’ai faites avec les compagnons : ils te racontent ce qu’ils ont vécu avant de connaître Emmaüs et face à de tels parcours, tu apprends vraiment à relativiser concernant tes soucis de tous les jours. La société les a rejetés, mais c’est impressionnant de voir à quoi ils ont résisté. C’est ça aussi, Emmaüs : tu as l’occasion de trouver chez des gens habituellement méprisés, des tas de raisons de voir en eux ce qu’il y a de beau… plus que chez certaines personnes parfaitement intégrées dans la société !
Cette année a été exceptionnelle. Merci Emmaüs Iași !