A l’occasion des 40 ans de la communauté de Forbach, une table ronde a été organisée, avec des élu.es locaux.ales mais également les présidents et présidente d’Emmaüs France, Emmaüs Europe, Emmaüs Afrique et Emmaüs International. Rencontre avec l’un d’eux.
Je m’appelle Patrick Atohoun, je suis responsable d’un groupe Emmaüs au Bénin : Emmaüs Pahou et je suis président d’Emmaüs International. Je suis là dans le cadre du 40e anniversaire de la communauté de Forbach, qui a souhaité qu’on vienne participer et célébrer avec eux cet événement heureux de “vivre ensemble”.
Peux-tu nous en dire plus à propos des sujets abordés lors de la table ronde ?
Hier, à la table ronde, on a parlé des frontières, de la migration, et ce que je retiens, c’est que c’est vraiment aberrant de parler de frontières. Les populations sont les mêmes et on n’a pas besoin de ces frontières là pour vivre. Les personnes immigrées sont des personnes qui amènent leurs compétences, leur civilisation, leurs expériences et c’est dommage que nos politiques ne favorisent pas ces échanges entre populations parce que vous savez qu’à Emmaüs, c’est la rencontre qui est la chose fondamentale. Nous l’avons fait dans notre mouvement, au niveau du mouvement international : l’accueil, chez nous, c’est un accueil inconditionnel. Ça veut dire que les hommes et les femmes, quel que soit leur pays, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur nationalité, peuvent vivre ensemble et construire un projet, un projet qui est l’amélioration des conditions de vie des uns et des autres.
Pourquoi c’est important d’en parler ?
Je crois que ce qui était important mais qu’on n’a pas eu le temps de développer, c’est qu’au niveau du mouvement Emmaüs International, cette question des frontières et de l’immigration, ça fait plus de 50 ans qu’on en parle. Au niveau du mouvement, au niveau de la communication, au niveau des documents, de certains supports, nous avons montré que l’on peut faire des choses ensembles. Nous avons édifié le passeport universel, pour dire qu’à travers ce passeport on peut être citoyen du monde. Au niveau des actions du mouvement, nous avons parlé de l’article 13, qui est cet article qui dit que selon la déclaration universelle des droits de l’Homme, tout citoyen a le droit de circuler et résider ensemble. Et la question que nous nous posons maintenant c’est « pourquoi nos politiques ne peuvent pas accepter que cet article-là soit appliqué dans tous les pays ? Je crois que c’est cette peur que les gens distillent dans la population pour dire “c’est les immigrants qui font ci, qui font ça”. Non, les immigrants ont des compétences, ils sont conscients, ils ont quitté leur pays parce qu’il y a des situations d’injustice, des situations de pauvreté et nous, au niveau d’Emmaüs, on permet à toutes ces personnes-là de pouvoir s’intégrer, de pouvoir construire avec les populations qui vivent dans ces pays et construire quelque chose d’assez cohérent.
Donc pour nous, il faut que de plus en plus, à travers les situations que nous vivons (nous étions à Calais et à Bruxelles il y a quelques jours), notre leitmotiv soit qu’il faut que les gens soient régularisés. Il faut permettre à toutes ces personnes-là de pouvoir s’intégrer, de s’approprier leurs droits, de créer quelque chose dans leur environnement. Voilà ce que nous pensons. Et si on fait l’essai, et nous on le fait depuis 70 ans au niveau d’Emmaüs International, on peut vivre ensemble. Et le “vivre ensemble” est quelque chose de fondateur, vivre ensemble est quelque chose qui permet aux uns et aux autres de pouvoir s’exprimer et de pouvoir vivre dignement, ce qui diminue les souffrances pour les plus démunis et les plus défavorisés.
Doit-on garder l’espoir qu’un jour chacun puisse circuler librement ?
Au niveau d’Emmaüs et de la société civile, c’est cet espoir que nous essayons de réactiver, parce qu’il ne faut rien attendre de nos politiques. Nos politiques mettent en place des politiques de frontières. Dans nos différents États du Sud, on donne de l’argent aux autorités politiques pour dire “il faut bloquer cette circulation”. Alors que dans nos pays africains, depuis 20-30 ans, il y a cette circulation des populations, personne ne se fait du tort, les gens s’intègrent, ils ont des métiers, donc je pense qu’il faut toujours espérer. Et cet espoir, c’est cette mobilisation que nous avons au niveau des organisations et au niveau de nos amis qui sont immigrés, pour porter cette parole, pour dire à nos politiques “nous ne sommes pas des criminels”, pour dire à nos députés que l’on peut faire quelque chose. Donc, si on n’avait pas l’espoir, je crois qu’on aurait échoué : nous, au niveau d’Emmaüs c’est l’espoir, c’est d’avoir des alternatives. Et nous appelons tous nos députés, toutes ces personnes qui n’y croient pas à venir dans nos communautés. Dans nos communautés, nous avons 10, 15 nationalités, et ces gens-là font leurs vies, créent des projets et font la solidarité, parce que vous ne pouvez pas rester dans une situation d’instabilité. A Emmaüs, vous travaillez, vous faites la solidarité, vous aidez le plus souffrant, donc je pense qu’il faut espérer, et c’est le sens du mouvement depuis 70 ans avec l’Abbé Pierre qui a commencé ce mouvement. Nous espérons que nous aurons un monde meilleur, un monde avec moins de violences, un monde où l’un pourra vivre à côté de l’autre pour que chacun puisse vraiment s’épanouir pour le bien des uns et des autres.
Merci Patrick !
Article 13 est un collectif d’acteurs du Mouvement Emmaüs qui défend la dignité des personnes migrantes : https://www.facebook.com/article13emmaus
Passeport universel :
https://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/2014/05/27/passeport-universelle-une-idee-revolutionnaire/